Shut your eyes and see

J. Joyce

Horizons Déployés

Absence, effet d’absence qui saisit lors de la première rencontre avec l’œuvre d’Arman Tadevosyan. Une absence pleine et entière occupe l’espace, retrait en un lieu de recueillement. L’œuvre d’Arman Tadevosyan porte au silence et à une profondeur peu commune. Des paysages vides de toute trace de vivant, des paysages abstraits, des paysages délicats, horizons déployés à la lisière de nos yeux, paysages qui nous déplacent, paysages en morceaux comme suite à un immense cataclysme qui ne pourra être chassé des mémoires. Puis, peu à peu, à bas bruit, le regard s’adonne aux motifs et suit les courbes, l’imaginaire entre tranquillement en mouvement, porte hors du temps, pousse en apesanteur. Intervalle suspendu qui s’offre, face à notre propre vacuité, funambule au-dessus de l’abîme.

« Importants aussi, sont le rôle et la signification de la couleur, celle-ci assumant la mission d’un médium intermédiaire entre le corps et la toile. », Vazgen Pahlavuni-Tadevosyan (p.13). La douceur des couleurs, des formes, des lignes apprivoisent nos craintes, la solitude se retire à condition de chercher l’étincelle qui peut rapprocher les humains.

Le format carré des tableaux renvoie à la croisée du transept conçu sur une base carrée, carré de la terre, et au-dessus de lui, le cercle de la coupole qui le coiffe. Pour l’architecture chrétienne, le carré de la terre est l’incarnation du principe céleste, il est complémentaire de celui du ciel. Il détermine le module géométrique de l’édifice : largeur de la nef et celle du transept. La religion afin de relier les humains ? Est-ce une des significations du format 30×30 cm ? Huile, argile, bois, toile sont les éléments qui constituent les œuvres qui nous observent et bâtissent par touches successives une église, « assemblée de citoyens » – au sens grec ancien.

Les triptyques, véritables retables sans image pieuse mais aux couleurs de métal comme si les objets du culte avaient été aplatis et qu’il ne restait d’eux que des plaques planes et polies. Aucun visage ne peut se refléter dans ces miroirs qui capturent la lumière. Serait-ce là l’écriture du manque ? « […] le christianisme est constitué dans un rapport à ce qui lui manque. Il y a ce tombeau vide, ce trou, cette absence, donc ce qui n’est pas là, ce qu’on ne peut ni savoir, ni posséder, et c’est ce qui fonde le christianisme et le discours chrétien. Il s’agit en effet de parler de ce point de vide et non pas en l’occultant. Peut-être est-ce de cela que témoignent les grandes cathédrales : il s’agit d’entourer un vide par de la représentation », Jean- Daniel Causse1. Est-ce ce manque qu’Arman Tadevosyan met en évidence ?

Dans les grandes toiles, un univers autre de l’artiste se dévoile. Des traces de corps marquent ces suaires tendus. « Ces empreintes de corps se dissolvent dans une brume colorée, cherchant avec elle un rapport organique, et tentant de restaurer les traces d’un être dans l’espace, le temps, l’histoire… », Gohar Smoyan (p. 11). Les formes sont-elles en cours d’effacement ou bien de révélation ? Qu’est-ce qui, de ce passage silencieux, ressort et nous hante ? Le mystère de la création demeure à déchiffrer. « Les corps dans la peinture d’Arman Tadevosyan, isolés, mais aussi reliés, embrassés… continuent la danse de l’humanité, assument ses deux faces, le noir et le blanc, le mal et le bien, la tendance à la chute comme l’aspiration à la grâce… », Emmanuelle Costet (p. 9). Est-ce cela qui s’avance, un appel à danser, à se voir léger au-dessus des décombres et à déployer nos ailes vers tous les horizons irréversibles.

 

Alain de Caprile Janvier 2022

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