Voilà 13 années qu’Arman Tadevosyan est arrivé à Nancy, où il vit et travaille aujourd’hui. Quittant son Arménie natale pour un Festival de courts-métrages en France, il y trouva de suite un excellent environnement artistique. Originaire de Gyumri, deuxième ville d’Arménie (ex-Léninakan), il y avait suivi une formation à l’Ecole des Beaux-Arts dont il est sorti diplômé au terme de huit ans, au lieu de six traditionnellement. Son inclinaison pour l’abstraction et son souhait à s’extraire de la figuration réelle avaient exacerbé le doute chez ses maîtres à penser et à peindre. Le carcan soviétique figeait alors encore les mentalités… Mais tenace et passionné, il a tenu bon et obtenu enfin ce diplôme bien mérité !

Forte de son héritage religieux et marquée dans son âme par une histoire cruelle et tourmentée, l’Arménie, un des tout premiers pays chrétiens, connut l’enfer de la répression 70 années durant jusqu’à la chute du régime soviétique, frappée de surcroît par l’horreur du génocide sanglant du début du XXème siècle. Comment ne pas vouloir exprimer sa liberté retrouvée et rendre hommage au lourd tribut d’un peuple martyrisé autrement qu’en célébrant sa Foi ?

A l’instar de Marc Chagall, pour qui la Bible était « la plus grande source de poésie de tous les temps », il s’est d’abord essayé à la représentation de sujets bibliques : Adam et Eve, l’annonciation, le baiser de Judas, la crucifixion, la résurrection… Il a d’ailleurs rendu hommage à « L’envol » du grand peintre d’origine russe lors d’un travail pour la cathédrale de Metz, peignant des corps évanescents, presqu’invisibles.

 

La France a offert à Arman de nombreuses opportunités d’exposer des sujets spirituels dans des églises et des lieux sacrés, alors qu’en Arménie il s’était vu refuser un tableau de Crucifixion : « ton Christ est nu», lui avait-on opposé !

Sa venue à Lille est en ce moment motivée par sa participation à la 7 ème édition du Festival « Les nuits de la crypte » au centre d’art sacré de la cathédrale Notre-Dame de la Treille. La volonté d’exprimer sa Foi différemment s’est imposée peu à peu dans son œuvre. Attiré par des sujets universels tels que la nature et les paysages, peignant oiseaux et feuillages, il nous propose des grands formats dans une tout autre forme de spiritualité.

En témoigne sa série de trois tableaux « J’habite ici, je vis ailleurs », titre éponyme de l’exposition récemment présentée à Nancy. « Il ne s’agit pas de frontière physique, de territoire, c’est autre chose. J’aurais d’ailleurs réalisé le même travail si j’étais resté en Arménie. Il est question d’aller vers une beauté, un ailleurs… ». Arman prône une réflexion et une quête sur le bonheur, la paix, la sérénité dans un monde déchiré par les conflits, les guerres et l’inconfort du malheur. Loin des traditionnelles représentations de Vierge à l’enfant, ses retables sont également de doux triptyques abstraits de paysages imaginaires qui font vibrer les couleurs et dans lesquels « chacun peut se projeter et imaginer ».

Inspiré par les chaînes caucasiennes de son enfance, il se souvient avec nostalgie de ces « montagnes recouvertes du ciel et de la lumière du jour » qui définissaient alors sa ligne d’horizon à perte de vue… L’harmonie des couleurs est elle aussi prépondérante dans son univers pictural, marqué par la nature et les saisons. « Les teintes représentent mon être profond ». Ses couleurs sont beaucoup moins contrastées aujourd’hui, reflets de la sérénité trouvée et inspirante. Plus diluées, elles offrent également à ses peintures un caractère énigmatique, se chargent de terre ou d’argile, prenant du relief, de la consistance, de la matière. Préférant la profondeur de l’huile, qu’il peigne sur bois ou sur toile, il fabriquait autrefois ses propres pigments partant de l’ocre, du rouge, du blanc… Fait courant en Arménie, pauvre en moyens mais partisane de la débrouille et de l’anti gaspi, les matériaux premiers sont souvent ceux des magasins de bricolage. Qu’importe ! C’est à l’artiste de sublimer les choses matérielles ! Il l’avoue toutefois humblement, le luxe des petits tubes coûteux qu’il peut désormais acquérir permet de nouvelles perspectives et une finesse de couleurs qui transcendent ses grands formats.

 

Pour Arman, « L’Art est un langage pour communiquer et partager le sens de l’Absolu ». Il ajoute : « On est tous une petite particule de l’univers, chacun ayant une mission précise et se devant de parler de beauté ». Aussi le sujet de ses grandes toiles est-il l’Amour, les relations universelles entre les hommes et les femmes en communion avec cet Absolu. Ses peintures rendent hommage aussi aux grands maîtres, tel ce tableau inspiré de Botticelli, « La naissance », également reproduit en plus petit sur plaque d’aluminium. Arman, fasciné par la représentation des corps, aime les peindre à taille réelle, une impression « de moi-même » nous dit-il, jusqu’à les perdre, empreintes déliquescentes devenues traces, énigmatiques et fantomatiques…

S’il retourne régulièrement en Arménie en dépit d’une situation politique instable, il déplore les relations avec la Turquie où il se refuse désormais à exposer, tout particulièrement depuis l’emprisonnement d’Osman Kavala, éditeur et mécène turc injustement condamné.

 

Heureux de vivre en France, havre de paix et de sérénité, il apprécie le calme qui y règne et le profond respect de l’humain. C’est à Roubaix qu’il nous fait l’honneur d’exposer en ce moment chez Gilles Bouilliez, à La Teinturerie. Ce lieu exquis et raffiné fait dialoguer les œuvres d’Arman Tadevosyan avec les sculptures de Larry Mc Laughlin exposé précédemment, un clin d’œil malicieux mais aussi une occasion pour les lapins de Larry de franchir les frontières et gambader dans de grands espaces imaginaires !

 

Paysages imaginaires par Gersende Petoux Turner

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