(…) Le souffle de l’esprit envahit l’œuvre d’ Arman Tadevosyan.
Purificateur à l’extrême, il agit à la façon d’une catharsis qui brûle et consume littéralement les formes afin de les désincarner, à l’image des ombres décharnées jusqu’à l’os, des lambeaux de chair qui peuplent ses compositions austères et fantomatiques, comme égarées dans un poudroiement de couleurs fanées.
Œuvre de la disette matérielle, de la sobriété et de l’ascèse des premiers temps, qui fait jaillir dans un quasi délire mystique les illuminations et les hallucinations propres à la transcendance et à la sublimation.
Malgré cette pureté originelle, notre « hagiographe » (c’est ainsi que l’on désigne les peintres d’icônes dans la culture chrétienne orientale, en particulier byzantine) revendique d’illustres devanciers : Roublev pour sa culture figurative orthodoxe et byzantine toute en douceur et profondeur spirituelle (…), les grands fresquistes italiens du quattrocento, dont sa matière patinée rappelle la texture pariétale, et Simone Martini enfin, le « primitif » siennois dans sa synthèse inédite du sacré byzantin et du dolce stil novo.
Arman Tadevosyan, dans sa peinture mythologique de l’invisible et du presque rien, dans ses reflets et simulacres caverneux d’inspiration platonicienne, appartient à une forme de spiritualité et de philosophie (…) toute en intériorité, introversion et initiation. Sa transmutation ésotérique de la matière est proche de l’alchimie.
(…Et ce mystère) Arman nous le révèle lentement, à la façon d’une photosynthèse ou d’un développement photographique, le mâche, le remâche cent fois, l’avale et le digère pour en extraire l’essentiel. Ainsi le veut sa théologie d’origine orientale, proche du culte chrétien des premiers temps, absolument apolitique et primitive dans l’expression essentielle de sa foi « apostolique », à l’image des coptes ou des éthiopiens auxquels l’église d’Arménie s’apparente.L’âge du doute et des conflits « apocalyptiques » (…) que profile sa peinture un peu torturée, dans ses tâtonnements et ses errances manifestes ou la dislocation inquiétante des formes, est aux antipodes d’un âge d’or insouciant.
En vérité, le sombre univers de l’Arménien et l’intense questionnement plastique que son oeuvre trahit semblent le reflet d’une souffrance intérieure où l’on devine secrètement le souvenir lointain des génocides de son peuple (…).
Jean-Pierre De Rycke (extrait).